La pharmacie et les soins primaires
Novembre 2024
C’est l’automne et comme toujours en cette saison, les pharmacies communautaires sont en pleine effervescence.
Les téléphones sonnent constamment, les télécopieurs fonctionnent à plein régime et la file des patients venant déposer leurs ordonnances, chercher leurs médicaments ou poser des questions ne désemplit pas. Et au milieu de tout cela, il faut communiquer avec les prescripteurs, gérer les commandes de médicaments, traiter les demandes de paiement, fournir des conseils sur les nouvelles prescriptions, évaluer les affections courantes, administrer les vaccins, et la liste des tâches est encore longue.
Tout cela vous semble-t-il familier? Évidemment, puisque c’est notre réalité quotidienne. Et nous accomplissons toutes ces tâches en respectant les normes de qualité et de sécurité les plus strictes et en faisant du bien-être de nos patients notre priorité absolue. Cela dit, avons-nous déjà pris le temps de réfléchir à tout ce que nous accomplissons chaque jour et à l’importance de notre travail?
Sincèrement, c’est quelque chose que je ne faisais pas très souvent. Comme beaucoup d’entre vous, j’étais tellement captive de la routine quotidienne que je ne prenais pas le temps de m’interroger sur les incidences générales de notre travail. Mais récemment, j’ai réfléchi au rôle unique que jouent les pharmaciennes et les pharmaciens dans le système de soins de santé, surtout dans le contexte de la crise actuelle des soins primaires.
La triste réalité de notre système de soins de santé
Au Canada, l’état des soins primaires nous a obligés à revoir la manière dont ces soins sont fournis. Cela nous a donné l’occasion d’évaluer de nouvelles solutions pour résoudre le problème de l’accès aux soins et pour soutenir notre petit contingent de fournisseurs de soins de santé qui endossent de si nombreuses responsabilités.
Cependant, ce qui frappe le plus dans tout cela, c’est que la vision du rôle des pharmaciens dans les soins primaires reste occultée par les idées fausses et que les débats sont dominés par le point de vue de personnes qui connaissent mal les réalités de cette profession. Et les tentatives pour remettre en question notre intégrité, nos compétences et notre volonté de faire passer la sécurité et le bien-être de nos patients avant les résultats financiers sont mal avisées.
Lorsque l’on fait abstraction de tout ce brouhaha, la réalité crue est que les pharmaciennes et les pharmaciens de tout le pays soutiennent un système de soins de santé à bout de souffle. Tous les jours, nous venons en aide à des patientes et des patients qui n’ont pas accès à un médecin de famille ou à une infirmière praticienne. Pourtant, les discussions sur notre rôle dans les soins primaires ne reflètent pas la réalité de notre travail. Trop souvent, nos contributions sont méconnues, mal comprises ou, pire encore, sous-estimées. D’aucuns remettent même en question notre capacité à proposer des soins de grande qualité, comme si toutes nos années d’études, de formation et d’apprentissage continu ne valaient rien.
La vérité est que non seulement nous avons les compétences requises pour fournir des soins primaires, mais qu’en plus, nous le faisons déjà. C’est notre quotidien. Malgré les innombrables obstacles, avec ou sans soutien, nous mettons tout en œuvre pour exercer dans les limites de nos pouvoirs afin d’améliorer la vie de nos patientes et de nos patients.
Ce qui nous empêche d’avancer
Le problème n’est pas de savoir si les pharmaciennes et les pharmaciens peuvent en faire plus. Le problème réside dans les obstacles auxquels nous faisons face : des règlements désuets, des politiques incohérentes et des modèles de financement inadaptés à notre champ d’exercice. Voilà ce qui nous empêche d’avancer! Ajoutez à cela notre manque d’intégration dans le système général des soins de santé, qui nous empêche notamment d’accéder en temps réel aux dossiers de santé électroniques, et vous comprendrez pourquoi nous avons l’impression de devoir soulever des montagnes.
La suppression de ces obstacles nous libérerait, nous, pharmaciennes et pharmaciens, en nous permettant de travailler plus efficacement, et contribuerait dans de nombreux cas à soulager la détresse morale que nous ressentons souvent lorsque nous savons que nous pourrions aider un patient, mais que nous ne sommes pas autorisés à le faire.
À tout cela s’ajoute aussi le fait que l’on nous demande de faire plus de choses avec moins de moyens. Nous sommes beaucoup à travailler dans des milieux où la quantité prime sur la qualité, où la pression est constante, et où nous avons peu de temps et de soutien pour nous concentrer sur ce qui compte vraiment, à savoir nos patients.
Mais, je vais vous confier quelque chose : cela ne doit pas forcément se passer ainsi.
Que se passerait-il si…
Et si nous avions un système de soins de santé dans lequel les pharmaciennes et les pharmaciens peuvent exercer toute la gamme de leurs compétences sans se heurter à des limites indues ou à des obstacles inutiles? Et si nous disposions des outils et de l’infrastructure nous permettant de collaborer harmonieusement avec les autres fournisseurs de soins de santé? Et si nous avions des environnements de travail conçus pour encourager l’autonomie professionnelle, ménager notre santé mentale et nous donner les moyens de fournir les meilleurs soins possibles?
Cette vision n’est pas hors d’atteinte… Pour la réaliser, il faudrait :
- des politiques cohérentes et des modèles de financement dans toutes les provinces qui permettraient aux pharmaciennes et pharmaciens d’exercer dans la pleine mesure de leurs compétences;
- une infrastructure intégrée qui nous permettrait d’accéder aux dossiers de santé électroniques et de communiquer facilement avec les autres fournisseurs de soins de santé et avec nos patients;
- des lieux de travail bienveillants qui nous donneraient les moyens de nous concentrer sur la fourniture de soins cliniques tout en tirant parti des compétences d’équipes pharmaceutiques bien outillées qui comprennent des techniciens en pharmacie;
- des flux de travail et des espaces réorganisés afin de refléter le passage d’un modèle axé sur le produit à un modèle axé sur le patient.
Après tout, nous sommes en 2024! Nous avons tout ce qu’il faut pour mettre en œuvre un plan réfléchi, stratégique et axé sur les valeurs afin de transformer les soins primaires dans l’ensemble du système des soins de santé. Alors, allons-y! L’APhC n’est pas la seule à tenir ce discours. Dans un rapport publié récemment, le Conference Board du Canada souligne les multiples façons dont les équipes pharmaceutiques contribuent à un système de santé plus équitable. Nous sommes accessibles, nous desservons des populations vulnérables qui, sans nous, ne recevraient pas de soins, et nos effectifs sont extrêmement diversifiés. Je l’ai déjà dit auparavant, mais on ne le répétera jamais assez, notre diversité est notre force. Les pharmaciennes et les pharmaciens fournissent des soins de manières qui transcendent les obstacles linguistiques et culturels dans tout le pays. Nous aidons des patientes et des patients de tous horizons et dans les lieux les plus éloignés.
Le progrès est en marche
Un peu plus tôt cette année, l’APhC a organisé un sommet national afin de discuter du rôle de la pharmacie dans les soins primaires. Notre communiqué de presse contient une liste de recommandations qui ont été formulées lors de ce sommet. Vous pouvez également lire le contenu de nos discussions dans le livre blanc (en anglais seulement) publié dans la Revue des Pharmaciens du Canada.
Dans tout le Canada, des modèles novateurs démontrent déjà l’utilité d’élargir le rôle des pharmaciens. Les cliniques sans rendez-vous tenues par des pharmaciens, les programmes de prescription de traitements pour des affections mineures et les salles de consultation présentes dans les pharmacies sont en train de modifier la manière de fournir des soins.
La Nouvelle-Écosse illustre parfaitement ce qui peut être accompli lorsque les gouvernements, les organes de réglementation et les associations unissent leurs efforts pour élargir judicieusement le rôle des pharmaciens. Les cliniques sans rendez-vous tenues par des pharmaciens et les programmes de prescription de traitements pour des affections mineures transforment la manière de fournir les soins, et les résultats parlent d’eux-mêmes. Ces changements visent non seulement à élargir le champ d’exercice des pharmaciens mais aussi à donner à ces professionnels les moyens d’exercer pleinement dans ce nouveau champ. Ils visent à créer un environnement de travail dans lequel nous pouvons nous épanouir professionnellement et nous concentrer sur ce que nous faisons le mieux, à savoir prendre soin des communautés. Les pharmacies existantes doivent se doter systématiquement d’une salle de consultation ou d’un espace réaménagé pour fournir des soins aux patients. Je veux croire que la culture des officines de « vente de médicaments à bas prix » est révolue et que nous pouvons enfin nous concentrer sur la fourniture de soins de qualité.
Bien sûr, tous les pharmaciens et toutes les pharmaciennes ne suivront pas le mouvement, mais ce n’est pas grave, cela arrive dans toutes les professions. En ce qui nous concerne, nous continuerons d’œuvrer ensemble pour concrétiser notre vision visant à faire des pharmaciens des fournisseurs de soins primaires, dans l’espoir que chaque pharmacienne et pharmacien puisse s’épanouir pleinement dans son métier.
Des changements à l’horizon
Nos effectifs sont en baisse et il nous faut donc absolument aider les pharmaciennes et les pharmaciens à exercer leur métier d’une manière qui leur permet de s’épanouir et de se perfectionner professionnellement. Pour ce faire, nous organisons un sondage à l’intention des étudiants et des nouveaux praticiens afin de savoir ce qu’ils attendent de leur milieu de travail. Nous voulons ainsi être à même de défendre les intérêts des nouveaux membres de notre profession en instaurant des pratiques qui répondent non seulement aux besoins des communautés, mais aussi aux leurs.
Je suis également ravie d’annoncer que nous travaillons en coulisses à l’élaboration et à la promotion d’une norme nationale permettant aux pharmaciennes et pharmaciens d’exercer leur profession en mettant pleinement à profit tout ce qui leur a été enseigné. Nous avons mené de vastes consultations avec les parties prenantes de la pharmacie afin de trouver un consensus et de clairement définir les capacités des pharmaciens en fonction de leur formation. Nous comptons utiliser ces informations pour militer en faveur de l’adoption des changements législatifs requis pour améliorer notre profession.
Précision importante : nous militons certes pour la levée des restrictions sur ce que les pharmaciennes et pharmaciens sont autorisés à faire, mais nous savons aussi qu’il est essentiel de leur laisser la liberté de choisir quel usage faire de leur champ d’exercice et de leur donner l’autonomie professionnelle requise pour construire une officine qui répond tant à leurs besoins qu’à ceux de la communauté qu’ils desservent.
Je sais que notre métier peut être épuisant, surtout dans des temps comme ceux-ci. Mais je sais aussi ô combien nous sommes résilients, ô combien nous nous soucions de nos patients et ô combien nous sommes résolus à jouer un rôle déterminant.
Appel à l’action
Sachant tout cela, j’ai un défi à vous proposer : continuons de faire pression. Continuons de militer en faveur des changements dont nous avons besoin afin de mieux faire notre travail. Aidons-nous les uns les autres afin de créer des lieux de travail où nous pourrons nous épanouir. Et rappelons à tout le monde que les pharmaciennes et les pharmaciens ne sont pas simplement des fournisseurs de soins de santé : ils sont un rouage essentiel de l’avenir des soins primaires.
Au final, la question ne tourne pas seulement autour de ce que nous faisons, mais autour de qui nous sommes. Et nous sommes des personnes plutôt remarquables.
Vous jouez un rôle déterminant, jour après jour. Ne l’oubliez jamais.
Cordialement,