Lutter contre le racisme et la discrimination systémiques dans le milieu de la pharmacie
L’Indigenous Pharmacy Professionals of Canada (IPPC) est une nouvelle association autochtone qui a pour but de mettre en relation et de soutenir les professionnels autochtones de la pharmacie et de veiller à ce que les pratiques pharmaceutiques de tout le pays reflètent les principes et les engagements des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.
Questions et réponses avec Jaris Swidrovich et Amy Lamb, coprésidents de l’IPPC
Parlez-nous du travail que vous faites pour créer un espace réservé aux pharmaciens autochtones et de la raison d’être de ce travail.
Jaris : Depuis mon entrée à l’école de pharmacie en septembre 2006, j’étais à la recherche d’une communauté de professionnels autochtones de la pharmacie au Canada, non seulement pour qu’ils me servent de mentors, mais aussi pour que je puisse faire partie d’une communauté qui reflèterait ce que je suis et qui me donnerait un sentiment d’appartenance. Malheureusement, une telle organisation n’existait pas et j’ai eu du mal à trouver des pharmaciennes et des pharmaciens des Premières Nations, des Métis et des Inuits à travers le pays. Après avoir obtenu mon baccalauréat ès sciences (pharmacie) et mon doctorat en pharmacie (Ph. D. pharm.), j’ai commencé un doctorat en éducation, dans le cadre duquel j’étudie les expériences vécues par les personnes autochtones durant leurs études en pharmacie au Canada. Bien que mon mémoire ne soit pas encore terminé, l’étape de la collecte de données de mon doctorat a montré que les professionnels autochtones de la pharmacie du Canada souhaitaient ardemment avoir une communauté qui leur permettrait non seulement de s’élever individuellement et de se soutenir mutuellement, mais qui les aiderait aussi à contribuer collectivement à instaurer un changement positif. Nous comprenons l’importance de la philosophie du « rien sur nous sans nous », et nous voulons veiller à ce que les initiatives de mobilisation des Autochtones dans la profession pharmaceutique soient menées par des Autochtones, exemptes de racisme et d’oppression et culturellement adaptées.
Nous souhaitons également lancer et soutenir le travail important visant à recruter et retenir les professionnels autochtones de la pharmacie, notamment grâce à des programmes de bourses d’études, au mentorat et à la fourniture d’une assistance pour apporter les changements nécessaires dans les programmes d’études suivis par les professionnels de la pharmacie avant et après avoir obtenu leur permis d’exercer. Reconnaissant que les professionnels de la pharmacie font partie des professionnels des soins de santé les plus accessibles et sachant que c’est entre les Autochtones et les non-Autochtones que l’on trouve les plus grands écarts en matière de soins de santé au Canada, nous sommes idéalement placés, non seulement pour ouvrir la voie en désignant clairement les politiques et les pratiques oppressives ainsi que le racisme qui, aujourd’hui comme hier, contribuent à créer et à entretenir ces écarts, mais aussi pour œuvrer ensemble au comblement de ces écarts.
Pourquoi ce groupe est-il important pour les professionnels autochtones de la pharmacie?
Amy : Ce groupe permet aux professionnels autochtones de la pharmacie d’unir leurs points de vue, leurs expériences et leurs connaissances spécialisées afin de poser ensemble les bases grâce auxquelles les Autochtones du Canada pourront donner et recevoir des soins pharmaceutiques exempts de racisme et d’oppression et culturellement sécurisants. Il existe un vaste éventail de traditions, d’expériences et d’évolutions dans les pratiques de guérison et les médecines au sein de nos nombreuses nations et régions. Le savoir ancestral a été écarté des soins de santé et des normes culturelles en soumettant des générations entières à des systèmes de suppression et au génocide culturel. Nous sommes nombreux parmi les professionnels autochtones de la pharmacie à aspirer profondément à des compétences culturelles et professionnelles dont nous pourrons faire profiter nos communautés et que nous pourrons partager en même temps avec nos collègues non autochtones.
Les professionnels autochtones de la pharmacie sont l’incarnation de la force et de la résilience intergénérationnelles de notre peuple. Ce réseau, qui rassemble les points forts, les récits oraux, les approches fondamentales et les exemples de fourniture efficace de soins, définira l’avenir des soins pharmaceutiques pour nos proches et nos communautés. Comme dans tout processus de réconciliation, nous devons être les gardiens du savoir, les instigateurs du changement et les porte-paroles de celles et ceux qui ont besoin de tirer parti de nos réussites. Nous prévoyons également que ce groupe permettra aux Autochtones de tout le Canada de se reconnaître dans la profession de pharmacien et d’avoir le sentiment d’appartenir à cette communauté tout au long de leurs études et de leur carrière en pharmacie.
Il est fondamental d’avoir des espaces sûrs pour la guérison des communautés autochtones, et le système des soins de santé a échoué à créer ces espaces pour ses professionnels, surtout dans le cadre du nombre croissant de crises sanitaires, comme les dépendances, la santé mentale, le VIH et la pandémie de COVID-19. Tout comme nos communautés, les professionnels autochtones de la pharmacie subissent des disparités en matière de santé, de la discrimination et du racisme. Lutter et rechercher des solutions à ces obstacles peuvent provoquer ou raviver un traumatisme chez les gens. Ce groupe servira de porte-parole à celles et ceux qui se heurtent au racisme, aux pratiques, aux dirigeants et aux systèmes anti-autochtones, ou qui en sont témoins. Nous espérons éclairer les cliniciens, les employeurs et les décideurs à propos des normes grâce auxquelles nous pourrons renforcer et autonomiser les professionnels autochtones de la pharmacie au Canada.
Pourquoi est-il important que les patients autochtones aient accès à des professionnels des soins de santé qui connaissent et respectent leurs besoins spécifiques sur le plan culturel et en matière de soins de santé?
Jaris : Les Autochtones ont été les premiers habitants de ces territoires et nous avons parfaitement le droit d’avoir accès aux soins et aux médecines que nous connaissons depuis des millénaires. Cependant, depuis la colonisation, les médecines et les pratiques occidentales sont hélas présentées comme étant supérieures, et ce sont elles qui sont majoritairement, si pas exclusivement, enseignées, apprises et exercées par les professionnels de la pharmacie. Il est essentiel que les patients autochtones aient accès à des professionnels de la santé qui non seulement ont pleinement conscience de la nature unilatérale du système de santé canadien, mais qui peuvent aussi fournir des services culturellement sécurisants et adaptés qui tiennent compte des réalités individuelles et collectives des Autochtones.
Nous souhaitons souligner qu’il est d’abord crucial de reconnaître que toutes les disparités injustes en matière de santé subies dans nos collectivités sont systématiquement dues à des problèmes de conception et que les compétences culturelles pour prendre soin des personnes autochtones, noires et de couleur commencent par la reconnaissance et la déconstruction des facteurs ayant contribué aux problèmes. Les besoins culturels propres aux patients autochtones, en particulier pour leurs soins de santé, exigent que ces soins reflètent fidèlement notre conception collective et individuelle de la santé et du bien-être, en reconnaissant l’interdépendance complexe entre le bien-être et la santé sur les plans mental, émotionnel, physique et spirituel, mais aussi leurs liens avec la santé de la terre et d’autres facteurs environnementaux.
Que peuvent faire les professionnels de la pharmacie et les autres professionnels de la santé non autochtones pour mieux aider leurs patients autochtones?
Amy : Bien qu’il soit impossible de répondre correctement à cette question de manière succincte, nous sommes fermement convaincus que l’éducation est essentielle et fondamentale pour fournir les meilleurs soins possibles aux patients autochtones. Hélas, nos systèmes d’éducation primaire, secondaire et postsecondaire ne préparent pas au mieux les professionnels de la santé à comprendre les systèmes existants d’oppression qui contribuent aux mauvais résultats des Autochtones en matière de santé, ou à adopter des pratiques de santé exemptes de racisme et d’oppression. Pour aider les patients autochtones, il est indispensable d’instaurer une relation de confiance fondée sur l’authenticité, le service et les récits partagés. Il est incroyablement important de faire preuve de patience et de sensibilité face à la relation ténue qui existe entre les Autochtones et le système de santé du Canada en raison du racisme et de la discrimination d’hier et d’aujourd’hui. Nous prônons des soins de santé qui favorisent l’intersectionnalité, l’affirmation culturelle, la lutte contre le racisme, la lutte contre l’oppression et l’accessibilité. Nous sommes convaincus que c’est cette façon de faire qui aidera le mieux les patients autochtones et tous les autres patients.
Si vous êtes une personne autochtone, soit un(e) professionnel(le) de la pharmacie, soit un(e) étudiant(e) dans un programme de premier ou de deuxième cycle en pharmacie ou dans un programme d’assistant(e) ou de technicien(ne) en pharmacie, et que vous souhaitez agir ou simplement rejoindre la liste grandissante des professionnels autochtones de la pharmacie du Canada, communiquez avec nous à indigenous@pharmacists.ca.
Jaris Swidrovich, B.Sc.(phm.), Ph. D. pharm., PhD(c), AAHIVP, RPh, est membre de la Première Nation de Yellow Quill (Saulteaux), et a une ascendance ukrainienne. Personne bispirituelle et allosexuelle, il est le premier Autochtone revendiqué du Canada à avoir obtenu un doctorat en pharmacie. Professeur, mentor et chef de file communautaire, Jaris Swidrovich a une profonde expérience du rapprochement entre les besoins organisationnels et la mission des soins de santé. Il s’intéresse particulièrement à la santé, à l’éducation et à leurs conséquences à tous les niveaux sur les personnes autochtones et marginalisées.
Amy Lamb, B.Sc.(phm.), RPh, exerce dans les collectivités de Prince Albert, de la Nation crie de Red Earth, de la Nation des Cris de Cumberland House et de Wollaston Lake. En tant que Métisse, elle fournit aux communautés autochtones des services cliniques mettant l’accent sur les soins préventifs, holistiques et adaptés culturellement. Elle défend avec ardeur des soins équitables et prodigués avec compassion dans les domaines de la santé des femmes et de la santé des Autochtones.
L’APhC se consacre à améliorer la vérité et la réconciliation grâce à la pharmacie. Nous sommes fiers de soutenir le travail de l’IPPC et de favoriser la collaboration et l’échange constructif au sein de notre profession afin d’éliminer le racisme systémique et de veiller à ce que la pharmacie offre un milieu sûr et accueillant à l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens.