Braver la tempête : La limite de 30 jours, les pénuries de médicaments et ce qu'il faut faire pour protéger l'approvisionnement en médicaments
Mesure controversée, certes, mais nécessaire pour répondre durablement aux besoins en médicaments des Canadiens
par Christine Hrudka
Présidente, APhC
Il y a un mois, devant l’augmentation sans précédent de la demande de médicaments et de fournitures médicales due à la COVID-19, l’APhC a pris la décision proactive, mais nécessaire, de recommander aux pharmacies de ne délivrer, à titre temporaire, de médicaments prescrits que pour 30 jours de traitement à la fois. Nous ne voulions pas qu’il arrive aux Canadiens ce qui arrive dans d’autres pays, où les pharmacies font face à des pénuries à cause d’une forte demande des patients.
Alors que le personnel des pharmacies gère déjà des pressions et une demande accrues, le passage à des renouvellements plus fréquents était une mesure de dernier recours devenue nécessaire pour pouvoir répondre aux besoins à long terme des Canadiens. Cependant, les pharmaciens peuvent toujours suivre leur jugement professionnel et, dans des circonstances exceptionnelles, choisir de délivrer des médicaments pour 90 jours de traitement pour des raisons cliniques ou autres, comme dans les collectivités rurales et éloignées ou en cas de fardeau financier extrême pour le patient.
Quand nous avons formulé notre recommandation, nous savions que ce choix serait difficile et qu’il poserait des problèmes à de nombreux patients. C’est pourquoi nous avons déclaré explicitement que cette mesure destinée à protéger l’approvisionnement en médicaments du Canada ne devait entraîner aucune difficulté financière pour les patients. Pour qu’ils n’aient pas à supporter inutilement d’honoraires de pharmacien ou de quote-part de régime d’assurance-médicaments en plus, l’APhC a demandé aux gouvernements et aux assureurs privés de leur éviter tous frais supplémentaires à leur charge entraînés par le renouvellement plus fréquent de médicaments pour des affections chroniques en raison de la recommandation de ne délivrer, temporairement, que 30 jours de traitement à la fois.
De plus, afin d’atténuer certains des risques liés à des visites plus fréquentes, et pour favoriser l’éloignement physique, les pharmacies dans tout le pays assurent davantage la livraison des médicaments aux patients qui ne peuvent sortir de chez eux. Par ailleurs, afin de créer des espaces sûrs, beaucoup ont également instauré un horaire pour les personnes âgées et les autres clients à risque.
Nous savons que cette recommandation est particulièrement difficile pour les pharmaciens, aussi, car il leur faut gérer l’avalanche de conseils, de questions et de réponses rassurantes aux patients, le manque d’accès à l’EPI et des problèmes d’effectif, sans parler du travail nécessaire pour organiser les livraisons aux patients ou le réaménagement des pharmacies pour les rendre plus sûres pour tous.
Les semaines passant, la COVID-19 s’est révélée être une menace durable pour l’approvisionnement en médicaments du Canada et nous avons remarqué plusieurs tendances inquiétantes.
La première est apparue il y a sept semaines quand, presque du jour au lendemain, l’approvisionnement en masques, en désinfectant pour les mains et en gants s’est trouvé épuisé. Ensuite, quand les autorités sanitaires ont commencé à mettre en œuvre dans tout le pays des politiques de distanciation physique et recommandé à la population de faire des stocks de nourriture et de médicaments, la demande de médicaments a explosé.
C’est ainsi que nous l’avons vue augmenter de plus de 200 % en mars, au point de menacer l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement en médicaments du Canada. Si nous n’avions pas réagi, nous aurions couru le risque de pénuries de médicaments pour nos patients, d’où la recommandation de ne délivrer, temporairement, que 30 jours de traitement à la fois.
Nous sommes également alarmés par la tendance croissante à des pénuries de médicaments liées à la COVID-19. Dans les mois précédant le mois de mars, le site Web officiel de signalement obligatoire des pénuries de médicaments comptait environ cinq nouvelles pénuries par jour. Au cours des dernières semaines, ce nombre a bondi de quelque 35 %, et il semble que ces pénuries augmentent plus rapidement dans les premières semaines d’avril.
À l’heure actuelle, Santé Canada mentionne trois pénuries graves liées à la COVID-19 :
- Hydroxychloroquine. Bien que rien ne prouve actuellement l’efficacité de ce médicament contre la COVID-19, la demande fait qu’il est maintenant difficile aux patients qui en ont besoin pour des affections comme la polyarthrite rhumatoïde ou le lupus de s’en procurer.
- Inhalateurs utilisés pour l’asthme et la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). La demande d’inhalateurs a considérablement augmenté ces derniers mois, tant de la part des hôpitaux qui se préparent à la COVID-19 que dans la collectivité, les citoyens faisant des stocks de médicaments.
- Médicaments utilisés dans les hôpitaux, notamment le fentanyl et le propofol, deux sédatifs utilisés dans les services de soins intensifs.
Nos collègues pharmaciens du monde entier voient également augmenter la demande, ce qui a amené la Commission européenne à demander à ses États membres de veiller à ce que les Européens aient accès aux médicaments essentiels pendant la flambée de coronavirus. Sans surprise, elle recommande que ses membres limitent la délivrance et la vente de certains médicaments sur ordonnance et en vente libre, par exemple, en n’autorisant à délivrer de médicaments prescrits que pour 30 jours de traitement ou à vendre qu’une boîte par client pour les médicaments en vente libre.
La gestion de l’approvisionnement en médicaments du Canada nécessite des efforts, des compétences et une attention immenses de la part des équipes des pharmacies dans des circonstances extrêmement difficiles. Dans tout le pays, les professionnels de la pharmacie continuent de travailler sans relâche pour soutenir leurs patients et leur collectivité et faire en sorte de garantir à tous une égalité d’accès à l’approvisionnement en médicaments.
Voilà pourquoi je suis immensément fière de la façon dont mes collègues pharmaciens bravent, une fois de plus, la tempête pendant la pandémie.